19 avril – Accessibilité culturelle et numérique : une mission de service public à l’épreuve de la pandémie, ou l’opportunité d’une crise ? – Sabine Tuyaret

 

En pleine crise du COVID- 19, l’urgence peut devenir une opportunité de développer des contenus numériques accessibles pour répondre simultanément à des obligations sociétales et juridiques.

Dans l’effervescence d’utilisation et d’engagement numérique, les institutions culturelles doivent inclure le public des personnes en situation d’handicap dans la cible de leur programmation numérique, les circonstances exceptionnelles actuelles sont l’opportunité de s’inscrire dans une pratique inclusive plus systématique pour chaque projet.

La complexité peut résider en ce que les personnes en situation de handicap constituent une population hétérogène qui dépasse largement la stricte reconnaissance administrative du handicap. Selon le Ministère des solidarités et de la Santé « la notion de handicap ne fait plus référence aujourd’hui aux seuls troubles fonctionnels de la personne mais également à l’interaction entre des limitations et l’environnement qui conduisent à des restrictions d’activité ou de participation sociale. » La notion d’accessibilité intègre les personnes qui déclarent souffrir d’une gêne dans la vie quotidienne ou être limitées dans une activité, pour des raisons liées au vieillissement ou à un problème de santé. 17,2 millions de personnes étaient en 2008 en situation de handicap ressenti en France, ce qui représente environ 28 % de la population (INSEE, 2008). Cette définition large s’applique également pour l’accessibilité numérique qui concerne tant la personne en situation d’handicap sensoriel lourd comme la cécité, que la personne en situation d’handicap physique temporaire avec un bras cassé ou la personne avec une cataracte.

Pour tout individu, valide ou non valide, accéder à une pratique culturelle nécessite de bénéficier d’abord d’un minimum d’accès à l’information sur son existence puis à la possibilité physique, psychologique, économique et technique de la rejoindre. Une personne en situation de handicap a les mêmes besoins, parfois couplés à des besoins en compensation spécifiques, comme une information particulière, des aides techniques, des aides humaines. Mettre en place une politique d’accessibilité inclusive, c’est identifier les facteurs d’empêchements et les abolir pour toucher un public qui n’accèderait pas sans ces mesures, à l’offre culturelle. Il s’agit d’éliminer les barrières physiques, sociales et de communication qui font obstacle à l’égalité d’accès et à l’inclusion des publics en situation de handicap. Il en découle l’obligation de proposer une offre qui prévoit des compensations afin que chacun puisse bénéficier des mêmes services de façon autonome, quelles que soient ses propres limitations. Comme le rappelle le sociologue spécialiste du handicap, Alain Blanc, « le handicap n’est pas absolu mais relatif à son environnement ». Il est maintenant reconnu que ce n’est pas « uniquement à la personne handicapée de fournir un effort d’intégration, mais bien à l’organisation sociale de s’organiser pour pouvoir l’accueillir. » (Blanc, 2012)

Cette approche guide depuis 20 ans les actions mises en place par les professionnels des établissements culturels pour favoriser une accessibilité architecturale des lieux et une accessibilité des offres présentées. Force est de constater qu’il se décline à l’identique pour les actions à conduire pour l’accessibilité des sites internet des institutions culturelles et de leurs offres.

Tout comme l’accessibilité « in situ », l’accessibilité numérique repose sur une chaîne d’actions et d’acteurs qui doivent coopérer et communiquer, pour la penser et l’organiser en amont.


Il ne s’agira pas d’avancer ici l’argument de la fracture numérique pour justifier la non nécessité d’une politique volontaire du développement de l’accessibilité numérique par les opérateurs culturels. Chacun doit jouer son rôle dans la chaîne d’accessibilité qui repose sur une continuité d’actions Cette responsabilité qui ne relève pas du champ de compétences des opérateurs culturels, connait son propre agenda.

Un premier maillon de la chaîne d’accessibilité de la responsabilité des opérateurs culturels est l’ouverture d’un site web accessible qui permet à tous, y compris les personnes qui présentent un handicap et utilisent des logiciels ou matériels spécialisés, d’accéder à ses contenus.
Sans donner l’exhaustivité des règles, quelques axes clés de l’accessibilité d’un site internet sont les possibilités de naviguer avec des synthèses vocales, sans utiliser la souris et de personnaliser l’affichage selon les besoins (grossissement, modification des couleurs et des contrastes). L’accessibilité ou la non accessibilité d’un site n’est pas un hasard, elle est la conséquence directe des choix de conception et de programmation. La technologie actuelle permet ces développements et le 23 septembre 2020, ils s’imposeront à tous les sites internet.

L’essor des offres culturelles sur les sites internet rend le respect de cette obligation encore plus fondamental. Alors que le déplacement physique est impossible pour tous, l’offre culturelle en ligne « à la maison » devrait permettre un accès égalitaire notamment pour les publics pour lesquels le déplacement reste une contrainte voire une impossibilité mais la non-conformité des sites internet crée un nouvel obstacle. Sans des développements informatiques adaptés, les personnes en situation d’handicap perdent l’autonomie dans la navigation et l’orientation sur les sites internet. Par une analogie souvent usitée, cela équivaut à refuser l’entrée d’un musée à une personne en situation d’handicap parce qu’elle serait accompagnée d’un chien d’assistance !

Un deuxième maillon de la chaîne d’accessibilité est la production des contenus. Peu d’institutions culturelles avaient jusqu’à présent une véritable production numérique. Les sites internet proposaient avant tout une préparation, et un accompagnement à une visite physique de leurs espaces. Après avoir éditorialisé à la Une de leur site des ressources existantes comme des visites virtuelles d’expositions passées, les institutions commencent à présenter une ligne de programmes conçus pour être une offre en ligne. A titre d’exemple, Universcience présente un programme en ligne #LaScienceEstLà avec à la fois des expositions virtuelles et des rendez-vous réguliers avec des médiateurs pour perpétuer une interaction directe avec le public. En l’espèce, l’accessibilité a été pensée conjointement à leur création. Là encore, il s’agit avant tout de choix de conception.


Au-delà de l’exemple, l’ambition est d’instaurer des usages dans la production d’offres internet afin que l’accessibilité soit intégrée en réflexe et non subie en contrainte.


C’est le choix porté par Universcience. Ainsi, le programme « les petites découvertes » qui met en scène un médiateur scientifique dans la découverte d’un objet du quotidien a fait l’objet d’une étude pour proposer une fiche de conseils de tournage et est sous-titrée. Les offres accessibles sont sélectionnées par les professionnels et organisées dans une rubrique « je me cultive ». Cette rubrique qui a vocation à perdurer après la crise propose une sélection d’offres numériques par rapport à l’actualité de l’institution puis organise les ressources selon 3 thèmes : « je vois la science », « j’écoute la science », « je comprends la science ».


Dans la continuité, la plateforme #Culturecheznous invite les opérateurs à qualifier l’accessibilité de leurs productions pour faciliter leur sélection par le moteur de recherche. Les critères retenus sont : transcription textuelle, audiodescription (AD), jeu utilisant du HTML, navigation au clavier, langue « facile à lire et à comprendre » (FALC), langues des signes françaises (LSF), sous-titrage (ST) ; autant de spécifications qui rendront les contenus accessibles mais également trouvables.


La crise que nous traversons modifie les valeurs qui organisent la production des offres des institutions culturelles. Elle bouscule le paradigme selon lequel une offre se conçoit pour un visiteur présent physiquement. L’offre numérique, véritable expression culturelle de l’institution, ouvre des possibilités qui peuvent changer le positionnement des visiteurs en situation d’handicap. Sous réserve de mettre en place les conditions d’accessibilité, l’inclusion culturelle trouvera sa pleine signification en permettant à chacun des visiteurs de jouir totalement de la proposition culturelle, et aux établissements culturels de conduire pleinement leurs missions, pour tous et « partout ».

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Sabine Tuyaret, ingénieure de recherche, directrice de la délégation à la qualité d’usage et à l’accessibilité, Universcience


Résumé en style FAcile à Lire et à Comprendre – FALC

Depuis le 17 mars 2020 les musées sont fermés.
Les visiteurs restent dans leur maison.
La culture est un moyen pour ne pas être seul et partager avec le monde.
Des créateurs développent des offres sur internet.
Je peux les regarder sur mon ordinateur ou ma tablette et les partager avec mes amis.
Les musées proposent aussi des offres.

Mais le site internet du musée est-il accessible ?
Les contenus sont-ils accessibles ? comment ?

La loi impose aux sites internet et aux offres des musées d’être accessibles à tous.
Il faut que les personnels du musée travaillent ensemble :

  • le créateur du site internet doit choisir le bon format. Le site internet doit être organisé et clair ;
  • le créateur de l’offre doit veiller au contenu. Les vidéos doivent être sous-titrées ;
  • les personnes en charge de l’accessibilité conseillent sur les bons outils. Les chargés d’accessibilité testent les offres et proposent des améliorations. Ils identifient l’offre accessible sur le site. Ils informent les publics en situation de handicap de l’offre.

La crise du COVID-19 permet de créer une offre internet accessible à tous.
La pratique continuera après la crise quand les musées seront ouverts. Ce sera une avancée pour tous.