2 mai – Merci Dr Raoult de nous rappeler que notre mission est fondamentale – Florence Belaën

Ce Docteur Raoult serait le client idéal pour nous, acteurs culturels spécialisés dans les relations sciences et société : il est audacieux, frondeur, c’est un génie que l’ « establishment » refuse de reconnaître – n’avons-nous pas entendu – par jalousie, purisme, voire même jacobinisme. En effet, comme diraient nos collègues, il a tous les caractères d’un comédien pour une pièce de théâtre sur les sciences : le physique, l’image du savant iconoclaste, la tenue du médecin… Même son bureau pourrait servir de décor, un bureau qui nous rappelle qu’à la façon d’un Léonard de Vinci, les plus grands chercheurs sont aussi des grands amateurs d’art.
Et le peuple ne s’y trompe pas, lui. On a notre sauveur que nous devons libérer à coup de pétitions. Et les médias ne s’y sont pas trompés non plus, des émissions entières « Devons-nous sauver le Docteur Raoult » ont été programmées. Il faut dire que tous les éléments propices à un débat animé sont servis sur un plateau dans ce contexte anxiogène.
Assurément, on n’aura jamais autant parlé de la science et de la recherche médicale que ces derniers jours, à en faire pâlir les membres du GIEC.
Je vais vous faire un aveu, je n’ai aucun avis sur les bienfaits ou non de la chloroquine. Je sais juste qu’elle est utilisée contre le paludisme, un fléau qui fait depuis des décennies jusqu’à 450 000 morts par an. Je ne sais pas. J’entends différents arguments : « privilégier l’éthique du soin avant l’éthique de la recherche » ; « qu’en temps de guerre, on ne peut peut-être pas appliquer les mêmes procédés de vérification scientifique » ; « que les statisticiens ont pris le dessus sur les cliniciens » ; « que si ce traitement peut sauver plus de vies qu’il ne peut provoquer de morts, et bien rendons-le accessible ».
Tout ce que je sais, c’est que cette crise que nous traversons nous met sur le devant de la scène, nous médiateurs des relations sciences et société. Car si nous avons œuvré ces dernières années à ce que les attentes des citoyens soient prises au sérieux par les acteurs de la recherche, cette polémique nous rappelle que notre travail est bien aussi d’expliciter comment la recherche se construit et de pouvoir un minimum apprécier les différents arguments mis en avant. Expliquer les étapes pour la fabrication d’un vaccin, les prépublications et l’étape de validation par les pairs, le système de publications dans des revues de rang A. L’occasion pour nous de rappeler que la pratique de la recherche n’a pas attendu le Coronavirus pour être, elle aussi, mondialisée, et de faire prendre conscience à la société que la méthodologie scientifique et que l’intégrité scientifique ne sont pas qu’une affaire de morale et enfin que la découverte de tout remède sérieux a besoin d’un minimum de temps.
Bref, notre travail est de rappeler que si certaines règles ne sont pas respectées, nous en serons tous perdants et que face à cette pression des médias et des réseaux sociaux, le monde de la recherche se doit d’être responsable et d’agir comme un repère, comme un phare qui tient debout malgré la tempête. Oublions s’il vous plaît les classements de Shanghai qui mettent en concurrence les laboratoires et les chercheurs ; la connaissance est un bien commun et la coopération internationale s’impose face à une telle pandémie.
Sciences et société, un binôme dont chaque partie prenante a besoin de l’autre.
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Florence Belaën, directrice Sciences et société, Université de Lyon