3 mai – La revanche de la vitrine – Francis Duranthon

On la disait dépassée, has been, ringarde… Et avec elle, les lieux qui l’abritaient, à un point tel que le mot muséifier commençait à avoir un petit côté péjoratif. On la critiquait, aussi esthétique soit-elle, aussi intelligente soit-elle. Elle s’était pourtant parée de tous ses atours, avait soigné son éclairage, travaillé la lisibilité de ses cartels, régulé ses paramètres climatiques, soigné son hygrométrie, modulé sa température, travaillé son design, affiné ses soclages. Las, on n’en voulait plus.
C’est vrai qu’il fallait de l’interactif, du hands on, du maker, du do it yourself, du collaboratif, du visiteur acteur, du visitacteur en quelque sorte. Et patatras… Un petit morceau d’ARN issu du croisement improbable entre une chauve-souris et un pangolin vient bousculer les choses. Il devient dangereux de toucher, de manipuler des artéfacts non décontaminés. Finis les interactifs sans gel hydroalcoolique, les manips sans désinfection, les co-constructions sans gants ni masques. Il faut même éviter de nous retrouver trop nombreux sans équipement adapté. La distanciation est de règle. La prudence est de mise. L’autre est possiblement contaminé ! Car bien sûr JE ne le suis pas ! Enfin, pas que je sache…
Et elle, elle est toujours là. Telle Mona Lisa derrière son verre blindé, elle nous attend, nous invite encore et toujours au plaisir de la contemplation, de l’observation, de l’analyse du détail, de l’évocation… Elle nous parle toujours du monde d’avant, des mondes d’ailleurs, des cultures d’ailleurs, des autres qui seraient devenus dangereux.
Dans le silence des galeries, elle se préparait au futur. Elle attendait son heure. La voilà. Comme une pandémie, elle s’est immiscée partout, dans le moindre interstice. Mais elle est devenue désirable. Elle a inversé les valeurs. Elle est devenue dynamique. Ses artefacts bougent. Son spectateur est devenu immobile. Elle aussi a muté. Elle a épousé le numérique !!! Elle a même changé de nom.
Elle s’appelle écran.
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Francis Duranthon, Conservateur en chef, muséum de Toulouse