6 mai – Une vie de confiné entre réactions, actions et questionnements – Guillaume Desbrosse

 

Qui aurait pu penser qu’en l’espace de quelques mois la moitié de l’humanité serait confinée chez elle ?
Le responsable a un nom qui trouverait pleinement sa place pour nommer un trou noir : Covid-19, pour CoronaVirus Disease 2019, il est aujourd’hui connu de tous, responsable à l’heure actuelle de plus de 200 000 morts et alimente les discussions un peu partout sur le globe.
En l’espace de quelques semaines, il a à lui tout seul totalement modifié le quotidien des habitants de notre planète et nous a plongés dans un bain de questionnements qui risque de nous occuper dans les prochaines semaines/mois/années.

Le 12 mars 2020, je rentrais d’un déplacement parisien pour l’Amcsti (le réseau professionnel national des cultures scientifique, technique et industrielle) quand le président Emmanuel Macron annonçait le début du confinement pour les enfants scolarisés et la fermeture de nombreux établissements. Nous basculions vers un nouveau mode d’organisation à distance. En tant que directeur d’un centre de culture scientifique, La Rotonde, au sein d’un établissement d’enseignement supérieur (l’École des Mines de Saint-Étienne) donc directement concernés, l’urgence était à l’organisation du service, permettre le télétravail pour toutes et tous dans des conditions techniques acceptables.
En quelques jours nous basculions d’une présence quotidienne et des relations directes à être chacun chez soi en télétravail. La première semaine de confinement a donc été centrée sur mes collègues et ceux du réseau, des problèmes techniques aux angoisses légitimes. Il fallait réagir vite, proposer des solutions, mettre en place des outils de communication, échanger, se voir en visioconférence rapidement pour ne pas perdre en dynamique.
Cette semaine fut aussi consacrée à la gestion de notre agenda culturel qui se trouvait de fait complètement bouleversé. Annulation, report étaient au programme, là où quelques semaines avant nous étions dans la construction de ce qui fait le sens de nos métiers, la rencontre avec les publics. Passage obligatoire source de frustration au vu du travail qui avait été engagé, source de dynamique négative et d’inquiétudes pour la suite.
Cette semaine a été identique à quelques éléments prêts chez l’ensemble des acteurs de la CSTI. L’Amcsti a très rapidement assuré son rôle fédérateur de réseaux afin de permettre aux uns et aux autres de s’informer, se questionner, échanger et partager au vu de cette situation inédite. Une réunion extraordinaire du conseil d’administration de l’Amcsti s’est tenue dans un format particulier sur la forme mais aussi sur le fond avec comme ordre du jour : comment allez-vous ?

Ce réseau se construit aussi pour l’attention que nous portons aux autres, à notre faculté à être dans l’échange, dans le partage d’informations, de bonnes pratiques ou de difficultés. Attentif aux problèmes des uns pour envisager une suite la plus sereine possible. Nous avons pu identifier des espaces de tension pour des structures, entre autres sur le volet économique.

[Re]trouver une dynamique d’actions, source de motivation

Après avoir géré les urgences et trouvé un modèle d’organisation en équipe la volonté est forte de passer à l’action, celle qui fait le cœur de nos métiers : imaginer, faire, proposer.
Travailler dans un lieu de culture scientifique c’est accueillir chaque jour des visiteurs, animer, faire acte de partage, rencontrer des partenaires, imaginer collectivement des projets. Le confinement nous prive de notre lien essentiel avec les publics, il nous enferme et nous coupe de l’essence même de nos métiers : être au plus proche des publics.

Dès le début de la crise, nous avions au sein de ma structure et comme beaucoup de collègues en France pris le parti d’être actifs sur les réseaux sociaux pour offrir des informations vulgarisées sur le Covid-19 et permettre de faire des sciences à la maison. Cet axe a été renforcé et nous a permis de garder ce lien avec nos publics tout en l’ouvrant à de nouvelles communautés. Nous basculons donc une partie de nos projets sur une présence plus accrue sur internet via les réseaux sociaux.
La communauté des acteurs de la culture scientifique a dans cette période fait pour la plupart le même choix en produisant, mettant en ligne des ressources de médiation des sciences, en organisant des « lives » culturels confinés… L’Amcsti a joué pleinement son rôle de réseau dans un premier temps en recensant l’ensemble des propositions culturelles dans une rubrique intitulée « les initiatives confinées » et en en faisant la promotion dans les médias pour un relais auprès des publics. De la même manière un travail a pu être fait afin que la plateforme « Laculturecheznous » répertorie les actions de CSTI. Tout ceci dans l’objectif de partager la richesse de cette offre reflet de notre capacité créative et inventive. C’est aussi tout le dynamisme du réseau et sa faculté à s’adapter rapidement qui doivent être salués.
On ne peut omettre dans cette situation les difficultés financières de nombreux acteurs confrontés à une perte de ressources fortes (billetterie, locations, stage…).
Le réseau de la CSTI répond avec engagement à la crise du Covid-19 afin d’être en première ligne pour ne pas laisser cette situation aux « marchands d’opinions » et ne pas déserter le champ de l’interaction, du partage et du développement de l’esprit critique.
L’infodémie comme l’a surnommée l’OMS (organisation mondiale de la santé) s’est aussi bien organisée et les réseaux se retrouvent envahis de théorie du complot, de désinformation scientifique, les infox et la santé, un sujet passionnant et qui trouve de nombreuses oreilles et comptes sociaux pour les relayer.
Devant un flux d’informations qui explosent, les acteurs de la CSTI ne laissent pas les commandes aux spécialistes du mensonge mais se positionnent comme des acteurs référents, rassurants, légitimes et de confiance pour les publics.

La science en société

Covid-19 est devenu en quelques semaines un sujet scientifique qui s’invite à la table virtuelle des foyers français. La science entre dans les maisons avec un sujet o combien grave et angoissant, mais c’est bel et bien la science et toute sa complexité que la plupart des français découvrent. Comment un fait scientifique se construit ? La méthode scientifique ? Un vaccin ? Le débat entre chercheurs, la médiation, le métier de virologue, d’infectiologue, la science mondialisée, la compétition, le temps long de la recherche et de l’analyse sans omettre les enjeux planétaires.
La science à travers cet évènement mondial entre de plein fouet en société et forcément elle questionne.
« Regardez les chercheurs ne sont mêmes pas d’accord entre eux ! » – « qui décide, les scientifiques ou les politiques ? » – « il faut un masque ou pas ? » – « est-ce que je peux aller courir ? »…
Les questions sont nombreuses, les incompréhensions également. La science en société est fondamentale, mais elle ne se décrète pas, elle s’accompagne, elle doit être médiation, faite de liens, d’échanges, de débats, de vulgarisations. Cette crise renforce plus que jamais la position de développer plus fortement le triptyque chercheurs-médiateurs-citoyens.

Et demain ?

Le Covid-19 et les bouleversements qu’il engendre, qu’il va engendrer dans notre quotidien nous poussent à nous questionner, à repenser nos modalités d’actions et d’interactions avec les publics.
Comment faire acte de médiation au pays du Covid-19 et de la distanciation sociale quand nous prônons le nécessaire besoin d’interagir avec les publics, d’être au plus proche pour « embarquer » tout le monde ?
Comment faire acte de médiation au pays du Covid-19 et des gestes barrières quand aller dans un lieu de culture scientifique, technique et industrielle c’est justement pour vivre une aventure faite d’expérimentations, de manipulations, de Faire ?
Comment au pays du Covid19 nos publics vont avoir envie de pratiquer nos lieux, nos institutions ?
Comment dans cet après allons-nous pouvoir gérer la capacité d’adaptation sans risquer d’oublier des acteurs sur le bord de la route ? Allons-nous changer d’échelle pour accroître notre présence dans les territoires ?

Bien évidemment il y aura des réponses techniques à tout cela, mais la médiation humaine devra trouver sa place, une nouvelle place pour un lien sciences et société plus fort, plus humain et plus à l’écoute. Nos lieux devront trouver un nouveau rapport à leur visiteur, tout comme à l’organisation de leurs espaces. Cette crise sanitaire ne doit pas nous faire omettre que nos sociétés et nos environnements vont peut-être devoir se réinventer.

Le challenge est devant nous et nous devrons trouver collectivement en complémentarité la clef pour retourner une contrainte en opportunité.

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Guillaume Desbrosse, Directeur de La Rotonde, Président de l’Amcsti