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19.12.24

L’archéologie face aux défis de l’intelligence artificielle (IA)

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© G. Altmann / Pixabay

Le numéro 147 de la revue « Culture et Recherche » analyse les avancées technologiques de l’intelligence artificielle et leur impact sur les pratiques de la recherche en Culture, notamment en archéologie. L’occasion pour nous de proposer un retour sur les évolutions de l’utilisation de l’IA en archéologie et sur les défis qu’elle peut engendrer.

L’impact de l’intelligence artificielle sur la science et la recherche est croissant depuis une dizaine d’année. C’est notamment le cas en archéologie qui voit en cette technologie une opportunité pour compiler, traiter et interpréter, avec un gain de temps considérable, de gros volumes d’informations. L’IA s’est également imposée comme une aide précieuse à la préservation du patrimoine archéologique et à la création de nouveaux savoirs. Son utilisation systématique peut cependant ouvrir la porte à certaines dérives, dont celle de la réinterprétation.

Premiers usages : compiler des informations

Dans les années 2000, différents conflits armés et l’accélération du changement climatique menacent de faire disparaître un nombre important de sites archéologiques. Face à ce triste constat, plusieurs organisations internationales, dont l’Unesco, qui a fait de la sauvegarde numérique du Patrimoine une de ses priorités, décident de lancer d’importants projets de numérisation 3D des sites menacés. Différentes entreprises, comme Iconem, développent des technologies innovantes, notamment l’utilisation de drones intelligents, pour scanner les vestiges et en proposer une restitution virtuelle à l’identique.
 
En plus de conserver la mémoire numérique d’un patrimoine menacé de destruction, cette initiative a permis de compiler une masse de données totalement inédite de par sa nature et son volume. Conscient de l’opportunité créée, le monde de la recherche s’est appuyé sur l’IA pour exploiter cette nouvelle base de référence.
 
En 2016, l’utilisation de l’IA en archéologie prend un nouveau tournant avec l’apparition de l’application ArchAIDE, un système de reconnaissance automatique de fragments de céramique généré par une intelligence artificielle : l’apport pour la recherche est immense et les gains de temps pour trier les vestiges sont remarquables. Le potentiel de cet outil ouvre la voie à une identification plus poussée des artefacts jusqu’à en proposer une reconstitution.

De l’identification à la reconstitution des informations

Il est rare qu’un archéologue découvre un objet intact en parfait état de conservation. Généralement, les fouilles relèvent essentiellement des fragments dont l’identification puis la reconstitution sont particulièrement chronophages et fastidieuses.
Or, les algorithmes d’une IA peuvent analyser les formes ou les décors des fragments en s’appuyant sur des modèles prédéfinis.
 
En 2023, une équipe israélienne pluridisciplinaire a mis au point un logiciel capable de déchiffrer et de traduire en anglais des textes akkadiens gravés sur des tablettes d’argile. Le programme est particulièrement performant, car les écrits mésopotamiens sont stéréotypés. Le niveau de précision de déchiffrage pour des textes grecs est quant à lui particulièrement satisfaisant. Ithaca, outil développé par DeepMind, a réussi à obtenir un taux de précision de 62% de restitution d’un texte grec lacunaire.
 
En février 2024, trois étudiants de l’Université de Kentucky (États-Unis) sont parvenus à faire déchiffrer à une IA 5% d’un texte inscrit sur un rouleau de papyrus considéré comme inexploitable. Le document, cuit mais pas brûlé lors de l’éruption du Vésuve en 79 ap. J.-C., est impossible à dérouler sans être détruit. L’association du scanner en 3D aux rayons X puis l’identification des images déroulées virtuellement par l’IA ont permis d’identifier une centaine de lettres grecques. Même si la restitution semble infime, elle permet tout de même aux chercheurs d’avoir une information jusqu’à présent inaccessible.
 
Précieux atout pour la recherche archéologique, la tentation de solliciter l’IA pour aider les chercheurs à interpréter des informations est grande.

De la reconstitution à l’interprétation

En 2020, l’Union Européenne décide de financer le projet RePAIR (Reconstructing the Past : Artificial intelligence and Robotics) qui travaille sur un système robotique autonome capable d’assembler des fragments pour restaurer l’artefact. Doté d’un bras mécanisé et associé à un scanner, le robot s’appuie sur un logiciel d’identification pour associer les morceaux d’un objet avec la précision d’un être humain mais en un temps record. L’intelligence a été testée sur les fresques du plafond peint de la Casa dei Pittori al Lavoro à Pompéi. Le robot analyse et propose un décryptage aux archéologues, qui en vérifient la cohérence. Si l’interprétation ne leur semble pas plausible, le robot recommence son travail d’analyse et propose une nouvelle combinaison.

En 2022, à l’université de Bristol, en Grande-Bretagne, des chercheurs ont utilisé l’IA pour déterminer à quoi des pierres sphériques retrouvées sur l’île de Santorin, en Crète et à Chypre pouvaient correspondre. L’outil, après analyse, a suggéré que les pierres, de deux tailles distinctes, avaient été délibérément choisies pour leur forme et leur poids. À partir de leur localisation, les plus grandes étant déposées dans des cavités artificielles sous les habitations, l’IA a pensé qu’il s’agissait d’un jeu de société, alors que les chercheurs pensaient plutôt à des balles à lancer, à un système de comptage ou des pions d’un jeu.

Le risque de dérive n’est cependant pas à exclure. L’IA, qui est particulièrement efficace pour identifier à partir de ce qu’elle connaît, n’a pas (encore) la capacité de résonner. Elle ne prend pas en compte les notions de culture, de croyance ou de sensibilité artistique. Elle reste un outil pour aider à la détermination, et à associer à l’expertise humaine dans une démarche scientifique.

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